Le ciel pleure sur les jardins d’Hochelaga. Dézéry croise Adam sous la pluie de midi. Je suis devant la grande porte blanche ornée de stickers de pirates pis de perroquets. Je peux pas être ailleurs que chez lui. L’homme qui porte le tricorne avec fierté. Celui qui fait pousser les légumes pour les partager.
Celui qu’on surnomme, le Pirate Vert.
Le gris noir du ciel assombrit le long couloir de l’appartement. La seule lumière se diffuse du poêle dans le fond de la pièce. Le Pirate est en train de nourrir sa famille de chats. Les gros matous se promènent un peu partout. Pas de perroquet à l’horizon. Il se serait fait manger tout rond de toute façon. Accoté sur son four, le pirate se met à me raconter ses aventures de vie. Celles qui l’ont amené à devenir celui qu’il est aujourd’hui.
Sa première destination fut le bar Café Chaos où il a occupé plusieurs postes pendant 15 ans. C’est à partir de ce moment que Raïs Zaidi est devenu Pirate. Sa personnalité marginale et son besoin de s’exclure du système font partie de ses valeurs. Il s’intéresse à la cuisine et aime divertir les gens. Le soir, l’alcool coule à flots et le pirate fait boire les clients direct au goulot. Pis un moment donné, la vocation a changé.
« Après avoir passé ma vie dans le bar Café Chaos, j’ai pas juste tourné la page, j’ai changé carrément de livre. J’avais besoin d’une nouvelle vie. D’offrir à manger. Ben plus valorisant que de les saouler! »
C’est là que les jardins ont commencé à pousser. Que les touski se sont mis à attendre de se faire manger devant sa porte d’entrée. C’est à partir de ce moment que Raïs Zaidi est devenu le Pirate Vert. Depuis 6 ans, Hochelaga le connaît par sa grande générosité et par ses légumes qui poussent par milliers. Il a mis sur pied le projet CHAPEAU. Les bacs bleus ont éclos. Les chaudronnées de patates et de carottes trônent sur la rue Dézéry. Tout est gratuit. Les gens du quartier laissent des notes pour le remercier.
Thank you so much! You wonderful, lovely person and/or people who fed 5 happy vegetarians. Much appreciated and much love!
Que ce soit en plein centre-ville où sur la Place Valois, le Pirate se promène avec ses caisses de 24 remplies de nourriture à distribuer pour les moins aisés. Tantôt avec S.O.S. Itinérance, tantôt cuisinier pour la Cuisine du Peuple, Raïs prépare les meilleurs potages au maïs et transmet son amour dans ses plats préparés. L’hiver, le Pirate fouille les gros containers à la recherche de nourriture encore bonne à consommer. Les poubelles du Métro et du IGA deviennent de vrais trésors pour le Pirate qui pratique le dumpster diving. Les blocs de tofu pis les pommes de laitues attendent d’être secourus. Les briques de fromage marbré pis les saucissons poivrés sont sauvés pour être redistribués à la société. Tout le monde a le droit de manger pis y’a personne qu’il va l’empêcher de donner.
« Je demanderai pas un permis à la Ville pour nourrir du monde, certain… Je suis pas anarchiste, je suis pirate. »
Sa cour arrière est une vraie jungle nourrissante. Un toit de raisins sauvages surplombe son petit gazebo en fer forgé. Les jardins grandissent à la verticale dans des chaudières noires percées. Les oxalidacées poussent en forme de petits cœurs surettes. Les bouquets d’amarantes attendent d’être cueillis pour devenir un popcorn prêt à manger. Le Pirate est passionné. Selon lui, pour 60 $ d’investissement, l’humain sauve 700 $ de fruits et légumes par année. Un pensez-y-bien pour l’humanité. L’année prochaine, les murs de framboises et les planchers de bleuets sauvages orneront sa cour arrière. Les petits fruits du Québec envahiront sa maison.
Raïs a trouvé son trésor depuis longtemps. Sa curiosité pour tous les métiers lui a apporté la liberté souhaitée. Personne ne peut lui voler. Technicien de scène, charpentier-menuisier, cuisinier ou jardinier, il se tient occupé. Son horaire, c’est lui qui le gère. Puis le reste du temps, il pense à nourrir les gens. Aux légumes qui poussent comme du chiendent. À sa prochaine conquête qui le rendra encore plus vivant.