Le soleil frappe les briques jaunes du métro Joliette. La squeegee au hoodie bleu reprend vie dans la ruelle aux graffitis. Le Couche-Tard de la rue Hochelaga est fatigué parce qu’il s’est pas couché. Le matin se lève et le violoneux se réveille au son des « Bon matin Marc! » que les gens lui disent avant d’aller travailler. Il est couché en cuillère avec son violon sur son matelas qui y manque des springs.
Lui et sa belle à cordes ont encore dormi à la belle étoile. Au beau lampadaire. Ses colocs ont déjà commencé à roucouler dans la corniche du métro. Son loyer coûte pas cher. Il enlève ses crottes de yeux. Déjà qu’il est presque aveugle… Le soleil perce le restant de rétine qui lui reste. « Bon matin Marc! »
La faim lui gruge le ventre. Il mange le restant de pizza au fromage que le cuisinier de la Sandwicherie Joliette lui a donné hier au lieu de la jeter. Il engloutit sa pointe en flattant les cordes de sa belle qui est toujours endormie à côté de lui. Y’en a déjà perdu une pis ça y’a fait mal… L’Orchestre Métropolitain de Montréal lui en avait donné une autre. Celle-là, il l’a dans le cœur pis il ne se la fera pas voler.
Une dame marche en direction de sa chambre et lui apporte le café au lit. Marc lui prend les mains et lui dit : « Merci beaucoup pour ce début de journée. God bless you! » Son accent acadien fait fondre tout le monde. La dame lui sourit, monte les marches en continuant de le regarder et disparaît derrière les portes tournantes du métro Joliette. L’itinérant se lève de son lit et commence son rituel de taï-chi devant l’énorme mandala peinturé sur un des murs de sa chambre. Son énergie descend dans chacun de ses doigts maganés. Il est le ninja d’Hochelaga. Les gens arrêtent le cruise control de leur vie et s’arrêtent pour le regarder. Le ninja se prépare pour aller travailler. Sa job est juste à coté. Marc descend les escaliers roulants avec sa belle à corde dans les mains. Il s’installe en indien sur le plancher de ciment du métro Joliette. La tête accotée contre le ventre de sa belle, il joue La Pathétique de Beethoven. Son archet glisse sur les cordes sensibles de son violon et les sous tombent dans son verre de café en carton. Il passe maintenant à Another Brick in the Wall de Pink Floyd. Sa voix éraillée se marie avec sa belle pas accordée.
Un homme s’arrête et vient s’asseoir à côté de lui. Il lui confie qu’il est à boutte de la société. De payer pour payer. D’oublier de vivre pis d’être pogné pour survivre. Le violoneux le regarde, lui met une main sur l’épaule et lui dit : « L’église m’a appris à vivre dans l’esprit de la pauvreté pour mieux comprendre pis aimer les pauvres. La société est pauvre d’amour. Écoute ça ».
Le musicien pose sa belle sur son épaule et se met à jouer la chanson Society d’Eddie Vedder :
You think you have to want more than you need.
Until you have it all, you won’t be free.
Society, you’re a crazy breed.
I hope you’re not lonely without meeee…
L’homme a les yeux dans l’eau. Marc a touché la corde sensible. Sa musique traverse le corps des passants dans le métro. Les piasses fuguent des portefeuilles. La société s’est arrêtée pour l’écouter.
Society, have mercy on me.
I hope you’re not angry if i disagree.
Society, crazy and deep.
I hope you’re not lonely without meeee…
Le verre de carton est plein. Des billets mauves et bleus volent autour de lui. Le violoneux joue sa dernière note qui résonne dans le métro. On n’entend rien… sauf la belle qui crie pour l’humanité.
L’homme ne donnera pas de sous à Marc. Il a compris le message. Il enveloppe ses bras autour du corps frêle de l’itinérant et le serre pour le remercier. Il jette un dernier regard au violoneux et passe le tourniquet pour prendre le métro. Il n’ira pas travailler aujourd’hui…
Crédit photo : Caroline Perron photographie
PRÉSENTATION DE FRED FOURNIER, Ouèreux d’Hochelag
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Je m’appelle Frédérik Fournier, je suis originaire de Saint-Eugène-de-Guigues au Témiscamingue et j’habite maintenant Hochelaga depuis juillet 2016. J’ai déjà habité 3 ans auparavant dans le quartier avant d’aller faire mes études en interprétation théâtrale au Collège Lionel-Groulx à Sainte-Thérèse. Maintenant comédien professionnel, j’ai fait plusieurs contrats d’animation et de shows de théâtre extérieur tant pour les tout-petits que pour les grands. Je suis fasciné par le conte. Je m’inspire de mon Abitibi natale pour écrire des histoires sortant de mon imaginaire de gars de bois et qui sont publiées sur la plateforme littéraire Bleu panache. Je vois Hochelaga comme une mini-communauté où tout le monde se connaît sans le savoir.
Je veux rendre hommage aux personnages d’Hochelag’! Ceux qui font partie de notre décor, que l’on croise sur Ontario ou Sainte-Cath et qui ont une histoire à raconter. Je veux parler de l’âme d’Hochelaga, la p’tite gang de motards en triporteurs, la madame qui se vomit le cœur au piano et tous les autres qu’on rencontre. Je veux vous les faire aimer et vous les faire découvrir par mes mini-contes.