La rue Ontario se baigne dans le soleil qui frappe sur Hochelaga. La frite au chapeau haut-de-forme de la Pataterie regarde devant elle à travers la fenêtre de la boutique blanche et verte. Elle aimerait être un kebbeh au bœuf pour une fois. L’énergie magique circule autour de l’Essentiellement Sol. Là où les gens viennent se replacer les chakras. Depuis dix ans, les mamans viennent calmer les crises de bébé à travers les allées et les angoissés se prennent un thé pour relaxer.
Patrick accueille les gens par son fidèle « Bonjour amour! » qui nous surprend sur le coup mais qui se veut toujours doux. Les mantras s’enchaînent les uns après les autres dans les haut-parleurs. Des voix qui donnent des frissons et qui éveillent la raison. Des chansons destinées à Shiva, Yoda et tous les dieux qui sont affichés dans les cadres accrochés au mur. Il y a quelque chose dans l’air qui est pur, qui nous rassure. Le mot d’ordre de la place : « Pour notre qualité de vie, cet établissement adhère à la lenteur. Si vous êtes dans l’urgence, il nous fera plaisir de vous servir une autre fois ». Un mantra que la société devrait adopter.
Je regarde l’arbre de vie sur le panneau d’entrée et j’ouvre la porte. Patrick sert dans ses bras son acolyte Aubi. J’ai interrompu leur moment. On se met à parler de tout et de tout. De tout ce qui est vrai, sensible, énergique. De leur mission première de servir les gens avant de penser à combien ils vont faire d’argent. De l’avenir incertain de leur boutique et des cartes à 50 $ pour 5 sandwiches en trio qu’ils vendent pour essayer de garder la place. Du but de la vie qui est inexistant car tout ce qui est autour est plus important. Des êtres de lumière que nous sommes et qui composent le soleil qui frappe sur notre planète. De leur rencontre spirituelle commandée à l’univers qui s’est réalisée un avant-midi à 11h11. De leurs projets pour aider les gens et de leurs cœurs qui sont trop grands. On est ensemble tous les trois dans l’Essentiellement Sol et plus rien n’est important sauf une chose : nous.
Aubi sort son harmonium indien et s’assoit sur un coussin. Patrick a le goût de chanter. Il s’installe par terre à côté de son âme sœur. L’instrument en bois est d’une beauté incroyable. Les deux hommes me laissent de plus en plus entrer dans leur monde. Nos âmes se reconnaissent. Le mantra commence. Le son de l’harmonium me traverse le cœur d’un seul coup. Aubi chante avec une voix aérienne magnifique. Une voix qui fait élever ton âme jusqu’au sommet du Stade Olympique. Patrick l’accompagne avec sa voix sensible et pure comme celle de l’enfant. Celui qu’il a à l’intérieur de lui.
Mes yeux pleurent de vie. De voir que ces moments existent encore. Que ces deux humains l’ont compris. Que des sons peuvent encore donner des frissons. Je m’assois en indien à côté d’eux et je laisse ma voix les accompagner. On se répond, on s’harmonise, on fait grandir notre bulle d’énergie. Je connais pas les mots mais les mots me connaissent. Nos voix s’élèvent et s’évaporent par les rayons du soleil. Celui que nous sommes en train de créer. Celui qui nous a réunis pour ce moment de vérité.
Un Haïtien à la barbe blanche entre. Il a interrompu notre moment. Je remercie les deux Jedi de lumière et je sers Patrick dans mes bras. J’étais une commande de l’univers. Nos corps respirent notre rencontre. Celle qui était belle, pure et simple. Celle qui se termine par un « Merci amour! »